Chapitre 20
— Et alors, tu as sauté du toit de la morgue et t’es fait rouler dessus par un camion-poubelle.
— Jon, pas la peine de me raconter l’histoire : je la connais déjà.
Il rit.
— C’est trop fort ! Je relis pour être sûr que je n’ai rien compris de travers. Personne n’y croira jamais !
— Génial. (Nous nous trouvions dans l’entrée où j’enfilais mon manteau. Laura venait d’arriver ; elle remontait l’allée. Nous gardions Bébé Jon ensemble ce soir.) Parce que je te rappelle que tu fais semblant d’écrire la biographie d’une vampire.
— Je sais, je sais. C’est seulement la millionième fois que tu me le répètes. Voyons voir…
— Jon, je dois vraiment y aller. On peut continuer demain ?
— Bien sûr. Laisse-moi simplement vérifier que j’ai tout : tu as essayé de te noyer dans le Mississippi, de t’électrocuter, de t’empoisonner en avalant une bouteille d’eau de Javel. Puis, tu as volé un couteau de cuisine pour te poignarder avec. C’est tout ?
— Euh… (Pas question que je parle des deux violeurs que j’avais tués accidentellement.) C’est à peu près tout, oui.
Laura entra sans frapper. Ça faisait des semaines que je lui avais dit d’arrêter.
— Bonsoir, ma sœur chérie, me salua-t-elle gaiement comme chaque fois. Tu es prête ?
— Oui.
Plus que prête. J’en avais assez de raconter ma vie. On se serait crus sur le plateau d’une émission à deux balles.
— Laura, tu as déjà rencontré Jon ? Jon, je te présente ma sœur, Laura.
Son charme eut aussitôt l’effet habituel : Jon laissa tomber son smartphone, sans même s’en rendre compte. De la poussière s’infiltrait probablement dans ses petits circuits fragiles, pourtant Jon s’en moquait.
Au lieu de ça, il dévisageait ma petite sœur. Je ne pouvais pas lui en vouloir : à côté d’elle, Michelle Pfeiffer ressemblait à une vieille sorcière. Ce soir-là, elle portait des Moon Boots (Leur popularité allait et venait. Elles étaient de nouveau à la mode en ce moment. Mais ça ne changeait rien à mon opinion : je les détestais. Je n’étais pas un putain d’astronaute !), un jean noir et une grosse parka moelleuse bleu foncé qui aurait dû la faire ressembler au bonhomme Michelin mais, comme Dieu est cruel, ce n’était pas le cas.
— Tu ne m’as jamais dit que tu avais une sœur ! dit-il en examinant les yeux bleus, très bleus de Laura.
— Tu ne m’as jamais dit que tu avais un Jon, répondit-elle en gloussant.
Visiblement, elle aussi appréciait la vue.
— Je ne vous ai jamais dit que j’avais une saleté d’ulcère, non plus. Remettez-vous ! On y va Laura, sinon on va être en retard.
— Ravie de t’avoir rencontré, dit-elle en lui tendant sa mitaine.
— Enchanté, marmonna-t-il, toujours médusé.
Il avait de la chair de poule avec des bosses aussi grosses que des cerises, pourtant, il ne semblait pas remarquer qu’il se tenait devant la porte, torse nu, exposé à une température polaire.
— J’espère qu’on se reverra bientôt.
— Glouglou, répondit-il.
Ou du moins, c’est ce que je crus entendre.
— Allez, salut ! m’exclamai-je pour qu’il comprenne le message.
Je poussai pratiquement Laura sur le perron et refermai violemment derrière nous.
— Il est trop mignon ! s’extasia-t-elle sur le chemin jusqu’à la voiture. (Elle sautillait alors que je traînais des pieds.) Où est-ce que tu l’as rencontré ? Il a une petite amie ? Évidemment qu’il a une petite amie !
— Laura, ce ne serait pas l’heure de prendre tes petites boules roses ?
— Seulement si tu arrêtes de me prendre la tête, rétorqua-t-elle. (Sa main gantée vint cacher sa bouche bée.) Je suis désolée ! C’est juste que… je suis nerveuse à propos de ce soir.
— Bébé Jon ne va pas te mordre, tu sais. Il n’a pas de dents. En revanche, il risque de te vomir dessus.
— J’ai déjà fait du baby-sitting, dit-elle d’un ton enjoué. Ce ne sera pas la première fois.
— Et moi, je suis allée à des rendez-vous galants bien moins plaisants, crois-moi.